4’33 »

4’33 », Photos

Comment comprendre une géométrie ? Par le déplacement. Comment comprendre un déplacement ? Par le temps. Sans temps, pas d’espace. Le temps régit notre monde, notre conception même d’entourage. Il est l’axiome indispensable à la construction d’un univers mental.

La photographie est souvent considérée comme un regard posé sur le monde. « L’œil de l’artiste », comme on aime à le nommer. L’image est indissociable de son créateur car elle correspond à un instant « t » sous un angle précis, et le jeu du photographe est de savoir « être là » avec sa vue expérimentée. L’appareil fige une image, un temps plus court encore que celui de la persistance rétinienne, trop court pour être intelligible. Le cliché ne peut alors se prolonger que dans l’imaginaire de ses spectateurs, qui reconstruisent un avant et un après.

Poser de tels yeux à travers l’appareil est pourtant un non-sens. Car le médium, l’engin composé d’un boîtier et d’un objectif, est lui aussi soumis au temps. Comment avoir un regard extérieur sur un univers dont on subit les lois ? Le photographe se prendrait-il pour Dieu ?

Le réel est soumis à la représentation, elle-même victime des transformations culturelles successives. La formule classique remplaçant « le réel », concept pur mais épuisé par la multiplicité des cas observés, par « des couches de réels » semble appropriée. Sans représentation, pas de réels. L’étrangeté du réel surgit alors du moindre basculement d’une représentation à une autre. Le référentiel d’accueil n’est pas humain, mais mécanique : le seul mode de représentation du médium lui-même (l’appareil photo) suffit au basculement.

L’appareil ouvre les yeux, comme l’homme. Il imprime, comme la mémoire. Mais ses capacités dépassent de bien loin celles de son créateur. 46 minutes, 1’43’’, 4’33’’, 15’16’’…

L’appareil se souvient de tout ce temps, de la moindre lumière qui l’a ébloui, brûlé ou apaisé. Imprimer sur une pellicule un monde qui s’y trouve déjà. Tel est le pari de cette série de photographies. Un déplacement pendant lequel on réveille l’outil. Rien ne lui est forcé à voir, il lui suffit d’observer.

Aucune « patte », pas de style. Le résultat formel n’est qu’une part de temps, un bout de monde sans sujet pour le regarder. Cette portion n’a aucune valeur particulière. Seulement, à ce moment, quelque chose a ouvert les yeux. Un quelque chose qui, lui, n’oublie pas l’importance d’une seconde, d’une minute, ni le merveilleux qui sait parcourir même la plus banale d’entre elles.